Par Patrick Manac’h, directeur de la Maison de la Photographie
Forestier étudia à l’Ecole polytechnique de Paris de 1880 à 1882, à l’Ecole libre des sciences politiques, et à l’Ecole forestière de Nancy jusqu’en 1885.
Fonctionnaire de la ville de Paris de 1887 à 1927, il fut conservateur du Bois de Vincennes (1889), du Bois de Boulogne et du secteur ouest des Promenades de Paris (1898).
Il aménagea l’avenue de Breteuil (1898), conçue comme une avenue-promenade, préserva le Champ de Mars (1904) et participa à la réflexion sur l’aménagement des fortifications à partir de 1905.
Le sauvetage du domaine de Bagatelle, « folie » du XVIIIe siècle, et de son jardin en 1904-1908 permit se maintenir l’intégrité du Bois de Boulogne.
« Grandes villes et systèmes de parcs », 1906
L’ouvrage « Grandes villes et systèmes de parcs » (1906) contribua fortement à la réputation de Forestier. Ce petit livre d’une cinquantaine de pages fit l’effet d’une théorie de l’urbanisme. Certainement écrit lors de l’acquisition de Bagatelle par la Ville de Paris et des débats menés par le journaliste Robert de Souza, l’ouvrage est influencé par les travaux des Anglo-Américains, Frederick Law Olmsted (1822 – 1903) créateur de Central Park et Daniel Burnham (1846 – 1912).
Forestier proposait un nouveau programme d’embellissement pour Paris, considérant l’agglomération avec ses banlieues comme une globalité. Il continuait ainsi une réflexion séculaire française des grands aménagements des espaces publics, inspirant les jeunes urbanistes français qui eurent à leur tour une considérable aura : Léon Jaussely, Henri Prost, Alfred-Donat Agache étaient reconnus dans de nombreux pays. Ses idées furent reprises par le législateur qui imposa pour chaque ville un plan général (1919).
En 1913 Lyautey sollicita la venue de Forestier au Maroc afin de planifier les réserves foncières indispensables aux projets urbains voulus par le Protectorat. Il dira plus tard : « Dans ma longue carrière coloniale, deux questions m’ont passionné entre toutes, la politique indigène et l’urbanisme. Sauvegarde de l’art indigène, conservation scrupuleuse des monuments du passé, leur appropriation aux nécessités de la vie moderne avec un souci constant du respect des traditions. » Lyautey fut très spécifique dans la définition de la mission : « quelles peuvent être les réserves à prévoir et à constituer à l’intérieur et aux environs des principales villes du Maroc pour y installer dès à présent, et en prévision du développement des villes dans l’avenir, des promenades, des jardins publics »1.
Forestier comprit immédiatement l’importance d’établir pour le Maroc des textes législatifs (avec l’aide de Paul Tirard, secrétaire général de la Résidence). Le dahir du 17 avril 1914 spécifiait les exigences en matière d’alignement, des plans urbains d’aménagement et d’agrandissement, des servitudes et impôts sur les voieries.
Enfin, Forestier suggéra à Lyautey de confier à Henri Prost en 1913 la politique urbaine. Forestier et Prost se connaissaient de longue date.
L’expérience acquise au Maroc, dont le grand plan de Rabat, le corpus conceptuel qu’il mit au point sur le jardin hispano-arabe, lui apportèrent des commandes de plus en plus importantes : Parc Maria Louisa à Séville en 1915, Montjuïc et Tibidabo à Barcelone, parc de la Casa del Rey Moro à Ronda, à Malaga, 1912, Palacio de Liria à Madrid, 1916.
Le lien entre le jardin et la ville était pour lui fondamental. A Marrakech, il s’appuya sur les grands jardins existants, à Rabat, il préserva d’immenses espaces. A Rabat toujours, le tracé classique de la Résidence ménageait de vastes échappées, principe repris par Prost à Marrakech pour le quartier Hivernage qui devait conserver des ouvertures vers l’Atlas. Les essences choisies pour les plantations eurent aussi un rôle très réfléchi : ainsi les grandes allées d’eucalyptus à Marrakech. Longtemps le boulevard Mohammed V conserva sa double allée de grands arbres.
Le jardin contemporain devait selon lui être un conservatoire des essences exotiques, que ce soit au Maroc, aux Caraïbes (plan directeur de La Havane 1926-1929), en Amérique du Sud (plan urbain de Buenos Aires en 1923-1924), plan de Lisbonne en 1927
A Paris, il conçut avec Léon Azéma le parc de la Cité universitaire et le parc du château de Sceaux qu’il voulait relier à Saint Cloud par de grandes avenues.
La même année, il conçut son dernier grand projet, le jardin de la Bastide du Roy pour la princesse de Polignac, près de Biot, dans les Alpes-Maritimes.
Landais, Forestier, Prost : Marrakech
En janvier 1913 le Ministère des Affaires étrangères demanda à la préfecture de la Seine l’envoi d’une mission d’études dans les villes du protectorat marocain. Forestier connaissait la personnalité du général Lyautey, résident général depuis 1912 et comprit immédiatement les enjeux de la mission. En décembre il remettait à Lyautey un dense rapport de 70 pages sous le titre « Des réserves à constituer au-dedans et aux abords des villes du Maroc » et « Remarques sur les jardins arabes et de l’utilité qu’il y aurait à en conserver les principaux caractères ». Ce rapport posait les bases d’un urbanisme planifié des grandes villes marocaines. Il précédait de presque dix ans le livre de Jean Gallotti « Le jardin et la maison arabes au Maroc » publié par Armand Lévy à Paris. En 1927 Georges Marçais publia aussi un article dans Art et Décoration sur le jardin arabe. Recevant le Rapport de Forestier, Lyautey demanda l’avis de Prost (1874-1959) qu’il connaissait bien (et qui d’ailleurs reviendra en 1914 au Maroc pour dix ans).
Quand Forestier arriva à Marrakech en 1913 il visita non seulement la médina mais la nouvelle ville tracée par le capitaine Landais dans les jours qui suivirent l’arrivée de Mangin, en septembre 1907. Landais avait d’ailleurs auparavant implanté au pied de la colline de Guéliz – la ville nouvelle – le camp militaire. Forestier recommanda le maintien et la restauration du patrimoine planté de Marrakech, ses innombrables jardins princiers dont la beauté avait impressionné les visiteurs européens (le sieur Mouette, Adriaen Matham…) (Aguedal, Ménara, Arsa, Riad, Jnan, etc.). Comprenant l’importance de l’immense palmeraie il s’opposa à son lotissement et à toute entreprise qui contribuerait à détruire les ouvertures vers l’Atlas.
A Rabat, Forestier avait voulu de vastes réserves d’espaces non aedificandi en périphérie, en plus des jardins d’orangers préservés autour des remparts. Le Bureau des renseignements, encore installé dans l’ancienne demeure Mac Lean, lui demanda d’établir un jardin public à l’emplacement de l’un des anciens vergers extra-muros, Jnan El Harti. Forestier en conserva le plan originel, les carrés de fruitiers, et ajouta des terrains de sport, un kiosque à musique. De fait, Jnan El Harti est l’unique espace public ajouté par le Protectorat à l’extérieur des remparts. Forestier repris les principes des jardins andalous avec de grandes allées couvertes de tonnelles végétales, et fit planter des doubles rangées d’arbres pour ombrager les grandes avenues.
Forestier traça aussi le Batha à Fez, et importa de nombreuses essences d’arbres inconnues au Maroc.
Prost marqua l’urbanisme de Marrakech par la création de l’Hivernage, une cité-jardin, concept au cœur de la pensée de Forestier. Ce quartier relié à la Médina, la Koutoubia, le jardin de la Mamounia, la Ménara et El Harti devrait évidemment accueillir la clientèle en villégiature et donc posséder les attrais indispensables, villas, hôtels, casino…
La bordure sud du quartier fut conçue comme une vaste promenade pour admirer les remparts, l’Atlas, la Koutoubia. Toute la zone fut dite non aedificandi. Prost intervint aussi dans la réhabilitation du vaste agdal impérial.
Arsat Moulay Abdeslam et Arsat Mamounia furent l’objet d’un réaménagement particulier : Arsat Moulay Abdeslam fut réhabilité en jardin public par Marcel Zaborski vers 1924-1927 et Arsat Mamounia, restauré par Albert Laprade vers 1920, fut intégré à l’hôtel de luxe de la Mamounia.
Les cartes :
La cartographie sur Marrakech présente un sujet de grand intérêt. Un inventaire exhaustif reste à faire et à publier. Du plan portugais de 1585 aux gravures de Adriaen Latham (1590 – 1660), nous avons un ensemble de documents qui nécessiterait une étude approfondie et une exposition.
La Maison de la Photographie de Marrakech a déjà publié plusieurs de ces documents, pour exemple « L’itinéraire de Mogador à Maroc par Auguste Beaumier » qui reprenait le plan de Marrakech de 1867 par Paul Lambert.
Le fonds Forestier contient de nombreux plans, de même avons nous les tracés de grands parcs et jardins concernant la ville de Marrakech. Dans cet article, nous présentons quelques plans connus mais peu souvent reproduits. Le site mangin@marrakech continuellement enrichit par Michel de Mondenard apporte toujours des contributions passionnantes.
Notes :
1- « La mission de Jean- Claude Nicolas Forestier au Maroc », in « Grandes villes et systèmes de parcs », Bénédicte Leclerc et Salvador Tarrago i Cid, Institut français d’architecture, Editions Norma, Paris 1997. Pages 153 et suivantes.
Voir :
Bennani, Mounia, « Le rôle fondateur du paysage dans la création des villes coloniales marocaines ».
Forestier, Jean Claude Nicolas, « Grandes villes et systèmes de parcs », introduction Bénédictine Leclerc et Salvador Tarrago i Cid, Norma Editions, Paris, 1997 (le livre est disponible dans la bibliothèque du site du Patrimoines de Marrakech et de sa région)
Leclerc, Benedicte, Paris, Colloque international » Jean-Claude Nicolas Forestier, du jardin au paysage urbain » avec publication des actes du colloque (Picard, 1994). Salvador Tarrago i Cid, docteur en architecture, professeur à l’Ecole des ponts et chaussées de l’Université polytechnique de Catalogne, à Barcelone. Il est également directeur du Centre International d’Etudes du Patrimoine Construit (CEIPAC).
Mondenard, de, Michel, http://mangin2marrakech.canalblog.com. Les plans de cet article sont tirés du site précédent.
Prost, Henri (1874-1959), Fonds Henri Prost, Archives de l’IFA, Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Paris